«La vie est un combat perdu d'avance.»

Elle luttait. Lutter pour survivre, et par la même occasion, faire survivre les chatons qu'elle s'apprêtait à mettre au monde. Seule. Elle était seule, et triste de l'être. Il l'avait abandonné pour cette jolie femelle qui avait un jour été son apprentie, et qu'elle regrettait d'avoir apprécié. Car elle avait volé la seule personne qui, un jour, avait posé son regard sur elle, et l'avait vu à sa juste valeur.
Elle ne pouvait pas crier. Elle n'en avait pas la force. Cette pauvre force qui lui restait, elle la gardait pour ses petits qui naissaient. Elle les sentait en elle, elle les sentait bouger, comme impatients de sortir.
Un sourire se dessine peu à peu sur les lèvres de la reine, un sourire fier. Elle allait mettre bas des chatons, ses chatons. Et elle les éleverait mieux que n'importe quelle reine. Seule. Mais heureuse.

   

Ce soir là, un soir d'automne, alors que les feuilles commençaient à se teinter de rouge et de doré, elle naquit. Ils étaient trois, et elle était celle du milieu. Mais la plus grande, et c'est ce qui avait attiré le regard de sa mère sur elle. Cette mère si courageuse qui avait décidé d'élever au mieux ses chatons. Mais dès que ses yeux croisèrent ceux ambrés de la jeune femelle, elle la prit à part, dans un petit cocon qu'elle avait tissé autour de la plus grande, Patte de Nacre. Un nom qu'elle avait choisi avec soin, et qu'elle avait tout de suite attribué à la plus grande.
Elle grandit à part, sans s'approcher de ses frères si violents, qui ne lui correspondaient pas, et que sa mère empêchait de voir. Elle ne souhaitait que le bonheur pour sa fille unique. Mais en voulant trop le faire, elle allait peu à peu lui faire regretter d'être née.

Déjà toute petite, elle subit des petites attaques par un gang d'apprentis idiots qui, la voyant seule dans son coin, l'insultèrent. Sa haine envers ceux qui lançaient des insultes à tort et à travers vint de là, et encore aujourd'hui, la moindre attaque l'atteint au plus profond d'elle-même.
Elle ne dit rien à sa mère, ne souhaitant pas inquiéter celle qui était presque en permanence auprès d'elle, prête à répondre à ses moindres besoins.
De leur côté, ses frères la détestaient, mécontents de ne pas avoir l'attention de leur mère.
Parfois même, ils se joignaient au groupe d'apprentis qui la persécutaient.

Bientôt, après des lunes d'ennuis et de pleurs, la jeune féline eut son baptême d'apprentie. Accompagnée de ses frères, elle grimpa sur le haut du promontoire et découvrit de sa hauteur le camp. Cela ne l'intimidait pas d'être à la vue de tous. Au contraire. Être sous les feux des projecteurs lui faisait un bien fou. Elle mit du temps à percuter que son mentor et le chef l'appelaient, trop absorbée par ce spectacle. Tout en exécutant la cérémonie, la nouvelle apprentie se promit une chose : elle y sera, plus grande. Et seule.


   


La petite fut confiée à un guerrier expérimenté et très sympathique, toujours là pour la secourir et l'aider dans ses progrès. Il l'appréciait à sa juste valeur, et c'était pour cela qu'ils s'aimaient énormément et avaient une confiance aveugle l'un envers l'autre.

Nuage Nacrée était toujours un peu seule et ne parlait pas à ses frères. Le groupe d'apprentis avait cessé de l'embêter. Elle croquait la vie du mieux qu'elle le pouvait.

   

«Ne t'éloignes pas trop mais attrape le plus de proies possibles !» lui cria Plume des Océans, son mentor.
La grande femelle lui répondit par un sourire et se précipita vers un endroit qu'elle avait repéré pour être riche en proies. La jeune chatte était plus habile en pêche mais elle souhaitait être forte en tout afin d'accéder à son grand rêve, celui de remonter sur le promontoire.
Avec des petits pas légers, l'apprentie s'approcha très vite de la clairière claire et agréable dans laquelle elle sentit aussitôt des multitudes de senteurs agréables. Celles de proies. La femelle se mit à couvert sous des arbres se trouvant à la bordure de la clairière. Soudain, une voix effrayante se fit entendre.
« Nuage Nacré, mauvaise fille ! Tu brûleras dans la Forêt Sombre ! »
L'apprentie en question se recroquevilla.
« Qui... Qui êtes vous ? »
Ses grands yeux ambrés se promenèrent autour d'elle, cherchant la provenance de la voix. Un ricanement sadique se fit entendre tandis qu'une seconde voix surgit de nul part.
« Oh, tu nous connais bien. Nous hantons la forêt à la recherche de méchantes personnes... Telles que toi ! Un jour, tu regretteras ce que tu as fait ! »
« Mais qu'ais-je bien pu faire qui vous fâche ainsi ? »
« Cherche. Tu trouveras bien. »

Soudain, un frémissement se fit entendre. Des feuilles s'agitèrent dans un arbre. Un cri strident retentit et un félin chuta, comme une pierre, atterrissant avec un bruit sinistre.
« Nuage de Cendre ! » hurla la voix de tout à l'heure. Un autre chat descendit les branches rapidement, mais sans tomber. Nuage Nacré ne bougea pas, horrifiée. Ses yeux plongés ceux fermés du jeune matou qu'elle connaissait bien. L'autre la regardait, le regard plein de larmes.
« C'est pas possible c'est pas possible ! Tu... Tu as tué mon frère, tu l'as tué. Tu m'as volé ma mère, et maintenant, tu tues mon frère. JE TE HAIS ! »
Terrifiée, la jeune femelle détala.
« Je... Je vais chercher le guérisseur ! »
Tout en courant en direction du camp, les sanglots se déchaînaient. C'était de sa faute. La sienne. Mais... Comment aurait-elle pu l'éviter ? C'était eux qui avaient joué à leur jeu stupide afin de l'effrayer. Et ils en avaient payé les conséquences.

   

Le guérisseur était arrivé, mais trop tard. Nuage de Cendre avait rendu l'âme. Nuage Océanique, son frère, ne s'en remettait pas. Il vouait une haine féroce envers Nuage Cendré.
L'enterrement fut dur pour les deux. Car la jeune apprentie s'en voulait. Profondément.

   

Les lunes passèrent. Les blessures, elles, ne partaient pas. Nuage Océanique lançait des piques soudaines à la jeune chatte qui en était très atteinte. Pour couronner le tout, leur mère décéda quelques lunes plus tard. Mais cela n'affecta ni l'un, ni l'autre. Car Nuage Nacré avait compris le mal qu'elle avait fait à ses frères. Et le cocon dans lequel l'avait enfermé sa mère ne lui avait rien apporté.

Bientôt, leur baptême arriva. Ce fut avec un extrême plaisir qu'elle remonta sur le promontoire. Mais quelque chose en elle s'était brisé.
Nuage Nacré n'était plus. Écume Nacrée avait pris la place. Son frère avait été renommé Aile Frémissante, lui qui tremblait souvent de haine et de tristesse. Félicitée par le reste du clan, elle ne fit que de s'attirer une fois de plus les foudres de son frère.

   

Chacun de leur côté, ils grandissaient. Un apprenti lui fut confié, qu'elle entraîna corps et âme afin de l'élever haut dans la hiérarchie du clan. Et très vite, il devint guerrier grâce à ses soins. Contente d'elle, la femelle s'apprêtait à prendre son envol. Et ce qui devait arriver arriva : le lieutenant mourut. Elle fut aussitôt choisie pour son savoir ainsi que sa sagesse. Et elle connut la jalousie des autres, qui espéraient tous ce rôle. La guerrière en fut légèrement choquée mais très vite, son rôle emporta ses soucis, et elle fit de son mieux afin de montrer qu'elle le méritait autant que les autres guerriers.
C'est à ce moment là que son père revint vers elle. Jamais il ne s'était intéressé à elle jusqu'à ce que qu'elle grimpe dans la hiérarchie. Aussi, il lui demandait des petits services auprès du chef. Tout d'abord, elle les exécuta, sans se douter de rien. Mais peu à peu, elle se rendit compte qu'il la manipulait. Elle cessa tout simplement de lui parler et l'ignora complètement. La cupidité des chats l'impressionnait beaucoup.
Quelques lunes plus tard, le chef, un vieux félin, mourut. Elle ne connut pas la cause exact, mais elle fut nommée chef. Et fière de l'être.